Écrits
« Qu’est-ce que ce moment de « privation de liberté de mouvement » a engendré comme autres mouvements à l’intérieur de vous ? Quel est votre meilleur souvenir de confinement ?... »
Nous écrivons le 20 Avril 2020.
Je vis toujours - et pour un bon moment - sous le couvre-feu... Mes meilleurs souvenirs de ces grandes vacances, je vais probablement les raconter un jour... mais en tant que « souvenirs » ça sera probablement après le couvre-feu. En attendant, ça sera des prophéties conjuguées au futur antérieur...
Par exemple:« J’aurais beaucoup aimé lors de ce couvre-feu... Tu auras beaucoup aimé pendant ce couvre-feu... ELLE/IL aura beaucoup aimé pendant le couvre-feu... NOUS AURONS BEAUCOUP AIMÉ CE COUVRE-FEU. etc.
J’avais beaucoup de mal à expliquer le futur antérieur à ma fille, je disais: « C’est quelque chose qui se serait déjà passé dans le futur. C’est une sorte de super futur, C’est le futur du futur. » C’est vraiment branché. C’est la seule conjugaison qui nous permettra un jour de ne plus avoir peur de la mort... ça sera déjà passé... ouf!
Mon expérience
Ah oui, mon expérience du couvre-feu... je viens de perdre un dent incisive. J’ai une sale gueule maintenant. J’ai honte et je suis très content de ne pas devoir sortir dans la rue comme ça. J’ai entendu qu’il n’y aurait - ces temps-ci - que 4 dentistes urgentistes pour 8 millions de Parisiens. Ça fait un dentiste pour 2 millions de Parisiens... c’est pas mal... . Peut être deux dentistes, un homme et une femme par exemple auraient suffit... un dentiste pour 4 millions de Parisiens ... Mais bon, je ne suis pas spécialiste en la matière... . Par contre je vois la police partout. La police et les militaires. Ils sont là pour aider le gouvernement à mener à bien cette expérience unique... « CONFINEMENT » : 70 millions de Français obligés de faire un stage de méditation à la maison! Durant un temps indéfini... . Évidemment il y a des gens qui se posent des questions: Comment faire quand la position de méditation devient trop inconfortable ?... quand on a des fourmis dans les jambes... comment faire quand l’esprit vagabonde ? ...et oui, ce sont des questions que bien des Français doivent se poser en ce moment.
Pour ça le gouvernement a fait en sorte que la police et les militaires soient postés à tous les grands carrefours de la ville. Ils sont là pour nous aider... à nous conseiller: « Essayez de vous concentrer sur la respiration... le souffle ! ...acceptez l’esprit qui vagabonde... et maintenant rentrez chez vous!... essayez... essayez encore! » Et c’est ainsi que l’homme nouveau - que la femme nouvelle - est en train de naître. 70 millions de français chez eux en train de méditer... . Le gouvernement nous demande de nous applaudir mutuellement à 20 heures précises, tous les soirs... oh que c’est joyeux!
Le théâtre
Ah oui... mon expérience... . Les théâtres sont fermés. Moi en tant qu’artiste, on a franchement plus besoin de mes services. Je comprends. Au théâtre le spectacle commence à 20 heures... normalement, et vers 21h30, donc à la fin du spectacle, il y a les applaudissements. Maintenant que les théâtres sont fermés on nous demande d’applaudir tout de suite... à 20h... . Comme ça on ne se rend même pas compte qu’il n’y a pas de spectacle. Je trouve que c’est une très bonne idée. Tous les soirs à 20h ça me fait chaud au coeur. En tant qu’artiste que je suis, je salue côté jardin, je salue côté cour, je salue le parquet au milieu, je fais signe à la régie et je n’arrête pas de faire des courbettes... ce n’est rien... ce n’est rien... c’est vous... c’est vous... merci... merci... je vous aime... merci ... oh ce n’est rien... je suis un simple artiste super génial... je suis merveilleux n’est-ce pas ? Merci ... .
Nous sommes en guerre.
Avant de s’endormir ma fille me pose souvent des questions philosophiques. Par exemple: « Pourquoi sommes-nous en guerre comme dit le président ? ...et pourquoi les gens se ruent sur le pécu dans les supermarchés ? » Je lui ai dit que je ne sais pas trop pourquoi nous sommes en guerre, par contre je sais que le pécu est inventé pour essuyer le trou de c... . Ma fille m’a répondu: « Donc là, où il y a le besoin de beaucoup de pécu, il y aurait forcément beaucoup de trous de c... ! » »... « Oui... forcément... trop de trous de c... en temps de guerre... c’est mathématique... dors bien mon ange!
L’artiste de cirque et l’idée du contraint
L’art du cirque est au cœur du sujet. L’art du cirque est au cœur de la contrainte. Le plus absurde sont les contraintes, le mieux c’est pour nous. L’art du cirque est un art qui consiste à se choisir des contraintes – on les appelle les défis - et de les transformer en « exploits ». Par exemple: un artiste de cirque voit un singe dans un zoo et se dit: Je vais faire pareil! Alors qu’il n’est pas un singe, mais un homme... alors qu’un homme n’est pas fait du tout pour faire des pirouettes dans un arbre... alors qu’un homme est fait pour se prendre au sérieux et pour le reste du temps... se plaindre... et dire que c’est la faute des autres... . Notre artiste de cirque a vu le singe et se met dans la tête de faire pareil. Il va mettre toute son énergie, son temps, son enthousiasme, son talent et les subventions de l’Etat français à devenir un singe. Le public qui le voit... ainsi sur son trapèze... est évidemment mort de rire et il y en a même qui sont prêts à payer de l’argent pour voir ce phénomène: l’homme qui se prend pour un singe... . Les efforts sans relâche pour devenir un singe vont, tôt ou tard, attaquer le corps de l’artistes de cirque. Il commence à avoir mal à l’épaule... de plus en plus mal... une inflammation chronique, mais comme c’est dans la nature de l’homme de cirque de se créer des défis, transformer une situation contraignante en exploit, notre homme qui rêve du singe, voit un jour passer un jeune qui n’a pas mal à l’épaule, et il se dit: « Je vais faire comme un jeune qui n’a pas mal à l’épaule ». L’artiste du cirque redouble d’effort pour ressembler le plus possible au jeune qui n’a pas mal à l’épaule. Il finit par trouver plein de mouvements pour compenser sa douleur. Il trouve des nouvelles figures - une plus ridicule que l’autre - et à nouveau son public est mort de rire. Cet effort constant à ressembler à un jeune qui n’a pas mal à l’épaule va évidemment continuer à ruiner son corps. Maintenant, par exemple, c’est une articulation dans le bassin, le fémur droit qui coince... je veux dire... qui coince vraiment ! Mais un jour, notre artiste de cirque, voit un homme, (pas si jeune que ça d’ailleurs) et qui n’a pas mal dans l’articulation du bassin. Dans la tête de notre artiste de cirque renaît un enthousiasme qu’il avait pensé perdu pour toujours. Il se met dans la tête de devenir cette homme qui n’a pas mal dans l’articulation du bassin. Le défi... la contrainte...: transformer une articulation qui ne s’articule plus, en une articulation qui s’articule encore. Bref : Se transformer en homme qu’il n’est pas, et qu’il ne sera jamais, et qui n’a pas mal aux hanches... . Encore une fois : aucun effort n’est superflu pour atteindre ce but. Le temps n’est pas compté, et l’homme de cirque continue à se ruiner la santé. Il a maintenant des rhumatismes quasiment partout.
Mais un jour, il voit quelqu’un qui n’a pas de rhumatisme du tout, et il se met dans la tête, de lui ressembler. Il se crée ce nouveau défi de cirque: l’exploit: marcher comme l’homme qui n’a pas de rhumatisme. Le soir au cirque, un murmure traverse le public... c’est à peine croyable... il ne va quand même pas le faire... mais si! Il le fait ! ... devant le regard ébahi de son public, il traverse la piste... sans hurler de douleur! Quelle est la recette de ce miracle circassien: LE TRAVAIL! La répétition incessante qui fait qu’un jour une chose devient normale pour l’homme du cirque qui n’est pas normal du tout. ...et cet effort incessant, crée des nouveaux défis. L’homme de cirque est tellement amoché par le temps, la gravitation et l’effort, qu’il devient fou. Mais voilà, son nouveau défi: retourner au boulot... se remettre au travail... travailler sans cesse pour que ça ne se voit pas! Ressembler à l’homme qui n’est pas: un homme normal, un homme qui n’est pas fou... . Et une dernière fois il traverse la piste. Il bave, les yeux écarquillés, tremblent de douleurs indescriptibles. Il est dans un état de délire total. Mais, au-delà, il est habillé : costume cravate... cartable... lunettes... chaussures parfaitement cirées... le regard sur son téléphone, l’air pressé... se prenant parfaitement au sérieux... parfaitement normal... . L’homme de cirque qui voulait se prendre pour un singe, se prenant pour un homme qui ne l’est plus depuis longtemps... . Quel délire ! Quel délire dans le public ! On n’a jamais vu ça ! L’artiste du cirque a accompli la contrainte suprême ! On dirait un homme... . Il fait un tour de piste... et disparait.
Et encore une fois il se traîne jusqu’au zoo. Il a le nez collé à la vitre derrière laquelle le vieux gorille le dévisage avec empathie. Dans son atroce délire le vieil artiste de cirque commence à parler au gorille... à lui poser des questions... « Alors mon vieux... est-ce que j’ai bien... ? ... comment... ? Comment ça se fait que... ? Pourquoi... ? « De plus un plus faible... . Dommage qu’il n’ait pu entendre la réponse du gorille : « Arrête de faire le singe ! »
La suite de cette histoire on la retrouve sous le titre : « Lettre à une académie » elle est signée : Franz Kafka, un copain qui a fait l’école de cirque de Châlons avec moi, il y bien longtemps... et qui, comme moi, a écrit beaucoup de sketchs pour le cirque et pour les gens qui s’ennuient en temps de con-finement... .
Préface d'un clown
A quoi ça sert ?
Le Plus Petit Cirque du Monde, au bout de 25 ans d’existence, aura sa maison ! Enfin le PPCM aura son cirque ! Et quel cirque ! Le Plus Petit Cirque du Monde sera le plus grand cirque du monde… plus de 30 mètres de haut… construit et imaginé par les plus beaux architectes du monde… : Assemblage de plus que 1500 poutres en bois, près d’un million de boulons vissés, près de 5000 litres de café bu, plus de 50000 cigarettes fumées (et peut être autant de cigarettes pas fumées !) plus de 5 millions de gros mots proférés par plus de 300 personnes (299 hommes et une femme) travaillant pendant plus de seize mois sur le chantier… chiffres qui foutent le vertige. Le cirque de Bagneux sera plus haut que l’Eglise de Bagneux. Voici ce lieu public… cirque public, cirque social… . Vive le cirque ! Que le cirque soit !
Reste une question : A quoi ça sert aujourd’hui de construire un cirque en dur, un bâtiment public dans lequel on fait du cirque ? A quoi ça sert ? Si j’annonçais que la ville va construire des parkings, tout le monde comprendrait immédiatement à quoi ça peut servir un parking : pour garer des voitures… Ou une école : à éduquer les incultes…. Ou un nouveau poste de police : à punir les méchants… . Ou un centre commercial : à pouvoir acheter des choses super… . Mais un cirque ? Est-ce que ça sert à quelque chose ?
Je crois que non. Je crois que c’est absurde de construire un cirque. Un cirque ne produit rien. Un cirque est une chose absurde. Aussi absurde que peut l’être la seul et simple idée du plaisir, l’idée de sauter en l’air et de faire des cabrioles incroyablement osées, par pur plaisir d’être au monde. Mais je crois aussi que c’est la condition nécessaire – le cirque ne sert à rien – pour que ce nouveau cirque à Bagneux puisse servir à quelque chose… et pour au moins encore 50 000 ans! Je m’explique… :
L'année dernière
L’année dernière je ne suis pas allé en vacances. L’année dernière je me suis levé tous les jours à 6h et je me suis couché tard.
L’année dernière j’ai acheté un chapiteau de cirque chez des gitans en Corse avec de l’argent public. Je l’ai troué, je l’ai penché et je l’ai peint en noir. J’ai marqué dessus : « A vendre »
L’année dernière j’ai lu des livres sur l’économie de David Graeber, de Jeremy Riffkin, de Thomas Sedlachek, de Nicolas Taleb et de Daniel Cohen. J’ai lu sur la politique économique et sur les systèmes économiques. J’ai lu sur les grands doctrines économiques et pour me calmer j’ai lu et relu mes copains : Samuel Beckett (clown irlandais de renommée internationale), Franz Kafka (clown tchèque de renommée internationale), Thomas Bernhard (clown autrichien de renommée internationale) Tous les trois n’ont pas fait l’école de cirque de Chalons ...
Jongleur!
Le dresseur de fauves
C’est l’année de ma quinzième tentative de suicide. Je suis encore jeune. Dans l’instant qui va suivre, ça va être à moi. Je suis derrière le rideau. J’entends la première note de ma musique. Je rentre en piste. C’est sur la foire de Rouen dans un cirque sans nom. Je suis le Jongleur et pendant qu’une femme dans le public découpe un poulet rôti et le partage entre son mari et ses quatre enfants, je jongle. Pendant qu’un militaire, ivre, tombe au-dessus le bord de la piste, se ramasse et hurle en ma direction : « Je vais te casser la bouteille sur ta tronche !», je fais mon numéro. Mais aussi : Pendant que je travaille, comme on dit dans le cirque : « Je travaille » et ne pas « Je joue » Non, pendant que je travaille, pendant qu’un groupe d’adolescents se lève du dernier rang pour sortir, pendant que j’entends le « tudeldu, tudelduu, tudelduuuuuu, de plus en plus fort d’un téléphone portable, pendant l’homme dans le public a finalement trouvé son téléphone portable, aboie dans le combiné : « Monsieur ! vous m’entendez ? Monsieur! Je ne vous entends pas très bien, je suis au cirque ! Non ! Allo ! Aaaaallo ! », eh bien mon seul, mon véritable spectateur se trouve derrière le rideau d’entrée ...