L'année dernière

L’année dernière je ne suis pas allé en vacances. L’année dernière je me suis levé tous les jours à 6h et je me suis couché tard.

L’année dernière j’ai acheté un chapiteau de cirque chez des gitans en Corse avec de l’argent public. Je l’ai troué, je l’ai penché et je l’ai peint en noir. J’ai marqué dessus : « A vendre »

L’année dernière j’ai lu des livres sur l’économie de David Graeber, de Jeremy Riffkin, de Thomas Sedlachek, de Nicolas Taleb et de Daniel Cohen. J’ai lu sur la politique économique et sur les systèmes économiques. J’ai lu sur les grands doctrines économiques et pour me calmer j’ai lu et relu mes copains : Samuel Beckett (clown irlandais de renommée internationale), Franz Kafka (clown tchèque de renommée internationale), Thomas Bernhard (clown autrichien de renommée internationale) Tous les trois n’ont pas fait l’école de cirque de Chalons.

L’année dernière entre le mois de Janvier et le mois de Juin j’avais mal au dos matin, midi, soir et nuit. Après il y avait des jours, il y avait des semaines presque sans douleurs. 

L’année dernière j’ai pris la voiture à Paris pour voir ce qu’il y a au bord des routes. J’ai vu des cabanes au bord de du boulevard périphérique. Plein de cabanes. J’ai vu des cabanes avec cheminée et des cabanes sans cheminée. J’ai vu quelqu’un. Il a installé un levier. Il n’avait même pas une cabane, mais il a trouvé un levier en céramique ! Les cabanes étaient fait de vieilles portes, de taule ondulée, de bâches bleu et grise, de planches et de palettes. Vous pouvez voir ces cabanes au bord de la A86, au bord de la l’autoroute A1, A3, A86 A6, A12, A13, A14, A15  etc. Partout des cabanes. J’ai vu des tentes à Paris, j’ai vu des tentes dans le bois de Vincennes et j’ai vu des tentes dans le bois de Boulogne. J’ai vu des gens qui vivaient dans des tentes au mois de janvier, au mois de février, au mois de mars, au mois d’avril….

L’année dernière on était jusqu’á 30 copines et copains à travailler sur le spectacle « Tout est Bien ». Assis dans ma caravane, contemplant les douleurs diverses qui se baladent dans mon corps, j’ai soudain réalisé que je suis assis sur une fondation solide ! administration, production, direction technique, construction, mise en scène…. On était ENSEMBLE. Souvent sans se parler on est allé dans la même direction. C’était beau ! 

L’année dernière mon oncle Klaus est mort, mon oncle parrain Trutbert est mort aussi. Ma tante Gudrune est morte. Les voisins de mon enfance Jochen et sa femme Traute sont mort en espace de deux semaines. Mon voisin d’ici, Philippe est mort. Je ne me suis même pas rendu compte. Ma tante marraine Christa est morte. Ma tante Imelda, la bigote, est morte. Ma tante aux Etats Unis, Gisela est morte.

L’année dernière j’ai dit au téléphone : " Je ne peux pas venir à l’enterrement. Je suis en répétition.» "Je ne peux pas venir à l’enterrement, je suis en répétition.» « Je suis vraiment navré, mais je ne peux vraiment pas venir à l’enterrement, je suis en répétition. »

L’année dernière mon père aurait du mourir et ma mère aurait du mourir même trois fois. Mes parents ne sont pas morts. Eux et mon oncle Heiner sont les survivants. Donc ces trois ne sont pas morts ainsi que six milliards de femmes et d’hommes qui sont encore vivants sur cette terre. Mais je ne les connais pas tous. Mon oncle Heiner appelle ma mère tous les jours à 19h30. Pile ! Il dit : « comment va ma petite sœur aujourd’hui ? ». 

L’année dernière on m’a dit : « tu ne peux pas faire un spectacle sous un chapiteau penché, troué, peint en noir et marqué « A vendre ». J’ai relu dans mes bouquins ce qu’il faut faire et je l’ai fait : j’ai changé mon nom. J’ai marqué dans mon passeport : « L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche » et j’ai soufflé soufflé soufflé soufflé…

L’année dernière j’ai rencontré Noémie Armbruster, j’ai rencontré Julien Cramilet, j’ai rencontré Mathieu Hédan, j’ai rencontré Yannick Chassignol et j’ai rencontré Karim Malhas. J’ai rencontré Christian Lucas. Je n’ai pas fini de rencontrer Christian Lucas !

L’année dernière je suis allé courir presque tous les jours. J’ai lancé mes balles en l’air dans ma salle de répétition. J’ai lancé des balles en l’air dans mon chapiteau penché. J’ai lancé mes balles en l’air dans les couloirs de théâtre. Là où je me trouvais. Il y avait des moments magiques et des moments pas magiques du tout. A un moment quelqu’un m’a présenté à un jeune acrobate qui m’a regardé dans les yeux, comme j’ai regardé dans les yeux moi-même les vieux pépés et qui m’étaient présentés il y a longtemps comme de grands artistes… devenus ringards… . Atteint mortellement par ce regard du jeune acrobate, j’ai arrêté immédiatement l’entraînement. J’ai vite fait mes étirements et je suis allé au bar. J’ai dit : « Une bière s’il vous plaît, une grande ! Une Leffe ! » Parce que je savais que la bière Leffe contiens 6,7 pour cent d’alcool.

L’année dernière on avait tous la trouille ! On avait la trouille de perdre le boulot, on avait la trouille de perdre la copine, on avait la trouille de la pluie mais on avait encore plus la trouille qu’il fasse beau. On avait la trouille de ne pas arriver et on avait la trouille d’arriver. On avait la trouille du chien du voisin et on avait la trouille du voisin. On avait la trouille que le climat se chauffe et on avait la trouille que le climat se refroidisse. On avait la trouille de mourir et on avait encore plus la trouille de continuer à vivre. On avait la trouille d’être en avance et on avait la trouille d’être en retard. On avait la trouille de manger et on avait la trouille de boire. On avait la trouille de faire caca, tellement la trouille qu’on se pissait dessus. On lisait dans le journal : la trouille ! la trouille ! la trouille ! 

L’année dernière Julien s’est envolé ! Il a pris son élan sur sa corde volante. Il s’est exclamé : « prochain ! » et il a transpercé le chapiteau ! Carrément transpercé le chapiteau ! A l’intérieur on voyait le ciel. On entendait des cris de joie dehors. On voyait que la vie continue, que le ciel est toujours grand, qu’il fasse beau dehors. On l’avait oublié. On était hors de nous. On criait : « Bravo ! »

L’année dernière une journaliste m’a demandé ce qui est au centre de ma création. J’ai dit : L’échec ! la chute ! le doute ! Elle m’a demandé si elle pourrait enlever au moins les points d’exclamations et je lui ai dit : «Non, laisse les points d’exclamations!» Elle m’a dit : «Comment veux-tu construire avec ça ?»     Et comme j’étais avec mon copain il a répondu à ma place : « Ever tried, ever failed, never mind, try again, fail better.« (Toujours essayé, toujours raté, peu importe essayes encore, rate mieux.) Samuel Beckett

A la fin de l’année dernière mon spectacle « Tout est Bien! / Catastrophe et Bouleversement » est sorti. Les gens criaient : Bravo ! et les gens criaient «une honte ! » les gens disaient. «]Nikolaus tu es magnifique! » et les gens disaient"Nikolaus tu es une ordure!". Les gens voulaient m’embrasser et les gens voulaient me casser la gueule. Mais comme ils ont fait des études pendant de longues années, ils avaient perdu tous leurs muscles. Ils avaient peur de me casser la gueule. Ils avaient raison. Je suis un acrobate, j’ai plein de muscles.

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