Préface d’un clown

A quoi ça sert ?

Le Plus Petit Cirque du Monde, au bout de 25 ans d’existence, aura sa maison ! Enfin le PPCM aura son cirque ! Et quel cirque ! Le Plus Petit Cirque du Monde sera le plus grand cirque du monde… plus de 30 mètres de haut… construit et imaginé par les plus beaux architectes du monde… :   Assemblage de plus que 1500 poutres en bois, près d’un million de boulons vissés, près de 5000 litres de café bu, plus de 50000 cigarettes fumées (et peut être autant de cigarettes  pas fumées !) plus de 5 millions de gros mots proférés par plus de 300 personnes (299 hommes et une femme) travaillant pendant plus de seize mois sur le chantier… chiffres qui foutent le vertige. Le cirque de Bagneux sera plus haut que l’Eglise de Bagneux. Voici ce lieu public… cirque public, cirque social… . Vive le cirque ! Que le cirque soit !

Reste une question : A quoi ça sert aujourd’hui de construire un cirque en dur, un bâtiment public dans lequel on fait du cirque ? A quoi ça sert ? Si j’annonçais que la ville va construire des parkings, tout le monde comprendrait immédiatement à quoi ça peut servir un parking : pour garer des voitures… Ou une école : à éduquer les incultes…. Ou un nouveau poste de police : à punir les méchants… . Ou un centre commercial : à pouvoir acheter des choses super… . Mais un cirque ?  Est-ce que ça sert à quelque chose ?

Je crois que non. Je crois que c’est absurde de construire un cirque. Un cirque ne produit rien. Un cirque est une chose absurde. Aussi absurde que peut l’être la seul et simple idée du plaisir, l’idée de sauter en l’air et de faire des cabrioles incroyablement osées, par pur plaisir d’être au monde. Mais je crois aussi que c’est la condition nécessaire – le cirque ne sert à rien – pour que ce nouveau cirque à Bagneux puisse servir à quelque chose… et pour au moins encore 50 000 ans! Je m’explique… :

 

L’homme a la trouille !

Le nouveau cirque de Bagneux se trouve dans une cité qui s’appelle « Les Blagis » : une cité qui se trouve en Ile de France, l’endroit qui est le Centre de la France, ce grandiose pays qui se trouve au centre de notre planète… planète qui elle se trouve au centre de l’univers…. Seulement il y a un problème : ça chauffe sur notre planète. Comme ça chauffe en France, comme sur l’Ile de France et logiquement ça chauffe dans la cité des Blagis… . Ça chauffe ! Il y a des problèmes, il y a des tensions, il y a des violences ! Il y a du chômage. Le facteur ne trouve plus de boulot, parce qu’on n’a plus besoin de facteur…. Les petits commerces ferment parce qu’on n’a plus besoin de petits commerces. Les ouvriers, les mécaniciens, les imprimeurs, plus besoin les journaux, même les médecins, même les journalistes… dans un proche avenir les algorithmes de la « data-world » vont prendre leur travail… dans un proche avenir 90 pourcent de nos activités, telles qu’on les connaît aujourd’hui, vont disparaître… purement et simplement. Ce sont les machines, ce sont les ordinateurs, ce sont les robots, les algorithmes de la data-world… plus besoin de l’homme. L’homme n’a plus besoin de lui-même. Et encore pire : L’homme est de trop pour lui-même. On n’a plus besoin de lui, et du coup il a peur. L’homme a la trouille !

 

Le cirque au cœur du problème

Normal. J’ai la trouille ! J’ai peur d’être de trop, d’être au chômage, j’ai peur de ne pas savoir quoi faire… j’ai peur des autres, j’ai peur de leurs regard, peur du voisin surtout de son chien. J’ai peur de sortir et peur de rester à la maison. J’ai peur qu’il fasse moche mais encore plus peur qu’il fasse beau ! J’ai peur d’écouter, j’ai peur de respirer, peur de ne pas respirer…. J’ai tellement peur que je deviens complètement déprimé. J’ai tellement peur que je me mets en colère, que je deviens malade ! Malade de trouille ! Et voilà : bienvenu chez nous, dans la cité, dans laquelle on va construire un cirque. Dans ce cirque il y aura des gens du cirque, des types comme Francesco Caroli, le dernier des grands clowns blancs et qui disait : « Dans le cirque il y a le danger ! Et là où il y a le danger, il faut absolument…. Il faut absolument le respect !  Et le respect, c’est quoi ? C’est l’amour ! » Ce grand clown, qui savait à peine lire et écrire nous dit en trois mots d’une manière absolument géniale comment le cirque agit face à la peur, face au danger. Et bien premier constat : Face au danger, faut pas rester seul ! Face au danger faut l’autre, faut son « respect ». L’autre n’est pas de trop. Mais aussi : Face au danger je suis disponible pour l’autre et pas par contrainte, pas parce qu’on m’obliger à tenir la longe, à parer l’autre, non. Je tends la main par « amour », avec cette générosité qui est déjà là parce qu’elle est inhérente à l’amour. Donc le cirque agit par sa nature au cœur des tensions, au cœur de la déprime, au cœur de la colère, au cœur de l’idée autodestructrice de l’exclusion de l’autre parce qu’il agit sur la peur ! Comment il fait, le cirque ?

« Dans le cirque c’est la réalité qui a la parole, ne pas le faire semblant », dit Walter Benjamin, «  il est toujours plus probable que, pendant qu’Hamlet poignarde Polonius sur scène, un homme dans le public demande à son voisin le programme, que lorsque l’acrobate fait le double saut périlleux de la coupole du cirque. » Cette réalité dont parle Walter Benjamin est constituée autour de deux principes, autour de deux attributs comme deux piliers, deux vertus qui sont : L’EXPLOIT et le RIRE.

L’exploit :

Au centre  du cirque il y a un geste. L’exploit. On l’appelle le saut périlleux. C’est un geste complexe, osé, précaire, périlleux, dangereux et pourtant c’est un geste complètement inutile. Il faut beaucoup de temps, beaucoup d’efforts, beaucoup de courage pour maîtriser ce geste qui ne sert à rien. Passer beaucoup de temps et dépenser beaucoup d’énergie pour faire un geste qui ne sert à rien, (ne serait-ce qu’exprimer la joie d’être au le monde), dans une société dans laquelle le seul but est, d’être efficace et utile, un tel geste monumental et qui ne sert à rien, c’est louche, c’est subversif, c’est dangereux !

Cet exploit, ce geste généreux, ça ne sert peut être à rien, mais ce n’est pas pour autant qu’on puisse le faire à moitié. Le saut périlleux, …faut le faire à fond, si non on tombe sur la tête. Arrêter à mi chemin c’est dangereux. Il faut s’engager. La nature même de cet exploit m’oblige, (mais aussi m’apprend), à m’engager corps et âme. Mais il y a encore autre chose que le cirque à travers l’exploit nous apprend : S’engager dans un geste de cirque c’est faire l’expérience de ne pas arriver, de rater ! Les gens de cirque perdent la peur de rater parce qu’ils font l’expérience qui veut que rater, soit la condition de la réussite. Mais au delà de l’expérience de réussir ou de rater, l’art du cirque, à travers l’art de l’exploit, c’est l’art de recommencer. Recommencer non pas pour réussir, mais recommencer pour se rapprocher de l’instant présent. Faire un saut périlleux c’est l’art d’être dans le présent - corps et âme.

L’art d’admirer

Le récit de l’exploit de cirque est un récit de voyage à travers le corps. C’est un corps comme le mien, mais c’est l’autre. C’est le danseur de corde. Il est debout sur son fil. Il va tenter la chose impossible : Le saut périlleux en arrière tendu sur un fil ! Les bras de l’acrobate bougent en permanence pour chercher l’équilibre. Le regard du danseur de corde est fixé au loin, concentré à l’extrême. Il semble attendre un signal mystérieux. Et puis, d’un coup, plus rien ne bouge. C’est physiquement impossible. Un corps sur un fil doit chercher en permanence son équilibre avec les mouvements des bras et pourtant… pendant une seconde, tel le calme irréel avant une tempête, le corps de l’artiste est comme figé. Et puis il saute… il décolle… et puis il tourne… et puis il est à nouveau sur le fil. C’est impossible ! Je crie : « Bravo !! » J’ai envie de l’embrasser. Je suis hors de moi. On pourrait appeler l’art de l’exploit, l’art d’admirer ! Admirer l’aventurier qui est parti loin, comme on admire les gens qui sont allés jusqu’à la lune. On les admire, on lit leur récits, on voyage avec eux jusqu’au bout du monde. J’admire ! J’admire l’autre… tellement je l’admire que j’oublie moi-même. Et dans la mesure que j’admire autrui, le « MOI » est devenu plus petit et si le « MOI » est plus petit, mon angoisse est plus petite aussi. J’ai moins peur, donc plus de courage parce que : Qui a peur ? Moi ! … et si ce « MOI », est plus petit, J’AI MOINS PEUR. Et moins de peur veut dire moins de tension, moins de déprime. Moins de peur veut dire plus de courage et plus de courage veut dire moins de chômage… dans la cité….

     Et finalement l’exploit c’est cette petite chose que ma sœur ne sait pas faire ! Ça renvoie sur l’enfance… ça renvoie là où tout a commencé… et là où tout a commencé se trouve ce lieu si précieux où tous les fils de ma vie, ce joignent, ou plutôt sont encore liés ensemble. « L’enfance c’est tout ! » dit Tadeusz Kantor « L’enfance c’est la condition même pour la création humaine ! » Il dit : « D’abord l’enfance. Sans enfance, pas de création et sans création pas d’humanité. D’abord il y a l’enfance et après on tue l’enfance. On ne fait que ça… » dit Tadeusz Kantor.

    

 

 

Le rire :

     Je l’ai déjà cité, le grand flâneur allemand Walter Benjamin et qui adorait le cirque : «…C’est la réalité qui a la parole dans le cirque, pas le faire semblant… «… réalité donc, constituée autour de deux axes, deux thèmes : L’EXPLOIT et le RIRE. Si l’exploit renvoie à notre enfance, c’est cette enfance qui renvoie sur le rire. Le rire du cirque est d’abord un rire de l’enfance. Un rire qui est incapable de se moquer de l’autre, qui rit par pure joie d’être au monde. C’est un rire sans arrière pensée, sans psychologie. Ce rire si fragile a pourtant la puissance de changer le monde !

     « L’essence du clown », dit le grand maître, pédagogue de théâtre, Jaques Lecoq « l’essence du clown se trouve dans la faiblesse fondamentale de l’être humain, dans les particularités qui sur un certain plan, font de chacun de nous un raté. Pour trouver (le rire) de son clown il faut chercher ses faiblesses, les reconnaître, les afficher et s’en moquer publiquement… «  Donc, ce rire du clown fait d’abord quelque chose avec moi-même. Me transforme. Je ne me moque pas de quelqu’un d’autre… je cherche mes propres faiblesses. Mais ça ne suffit pas. Ça suffit peut être sur le divan d’un psychanalyste, mais ça ne suffit pas pour que le rire soit… . Il faut, comme dit Jaques Lecoq « reconnaître ses faiblesses »… et encore ça ne suffit pas, il faut les « afficher » et encore ça ne suffit pas, il faut être capable de « s’en moquer » publiquement. » C’est seulement à ce moment là que le miracle du rire de clown surgit sur la piste du cirque. Le rire de clown crée une distance avec soi-même et dans la mesure que je mets mon SOI, mon MOI à distance, et bien c’est pareil : moins de MOI, moins de peur qui peut s’accrocher à MOI, donc moins de peur, moins de déprime, moins de tensions, plus de courage et moins de chômage dans la cité….

     S’occuper de rire c’est s’occuper de l’homme. Si Dieux est parfait, il ne possède pas « toutes ses particularités qui font de lui un raté » et par conséquent Dieu aura du mal à faire rire. Dieu ne peut pas être drôle. Sauf… sauf… sauf si l’homme est libre ! A la fameuse question : Est-ce que l’homme a un maître ? Ou est-ce que l’homme est libre ? Je pourrais répondre : Ou je ne suis pas libre et Dieu tout puissant est responsable du mal dans le monde… ou je suis libre et responsable (entre autres du mal dans le monde)… mais à ce moment là Dieu n’est pas tout puissant… donc il aurait forcément quelques unes de ces « particularités » dont parle Jaques Lecoq et « qui font de lui un raté ». Par conséquent il serait capable de faire rire. Conclusion : Si l’homme est libre, Dieu est drôle… . Il nous revient quand même à tous la responsabilité de diffuser très vite cette évidence qui aura (j’en suis convaincu) une conséquence inimaginable sur les conflits dans le monde… .

     S’occuper du rire c’est s’occuper du raté. Et c’est ce qu’on fait dans le cirque. S’occuper du raté c’est donc s’occuper de l’homme. Cacher l’erreur c’est cacher l’homme. L’homme s’est créé ce monde parfait autour de lui, hyper-efficace… où l’erreur est interdite… où les images cachent les rides, les odeurs, les déchirures, les erreurs… donc cache l’homme. Dans ce monde sur papier glacé, notre petit bonhomme n’a plus de place et ça, ça fait peur. Mais comment retrouver du courage face au miroir: Moi, silhouette allemande, vouté, ridé, myope, de grosses cicatrices partout, les dents qui tombent, moi… qui oublie tout et qui se prend tellement au sérieux… ? Et bien en rigolant ! « Chercher ses faiblesses, les reconnaître, les afficher et s’en moquer publiquement… » voilà le procédé, mise en place par le grand Jaques Lecoq, le grand Pierre Byland et le grand Dario Fo. Je me moque publiquement. Avec le rire du cirque j’affiche que je suis un homme et pas un Dieu et du coup mon public ME reconnaît… SE reconnaît. Le public m’aime, parce que je suis des leurs et il rigole ! Le  rire nous lie… c’est le premier lien entre les hommes bien loin encore avant le langage. C’est au bout de trois mois que le bébé commence à créer des liens avec autrui par le rire, mais c’est seulement à partir de 15 mois (et encore…) qu’il se met à parler et ainsi de créer les premiers malentendus….

« Le rire protège, désamorce, soulage, sauve. …. Heureux ceux qui rient ! Le rire rétablit la confiance en nous-même, il nous élève au dessus de la situation, « dit Yasmina Reza « … On ne peut pas rire avec des optimistes. On ne peut que rire avec des grands pessimistes. » Et pour répondre dialoguer avec Pierre Byland : « Le rire, c’est comme des essuie glaces : Ça n’évite pas la pluie mais ça aide à avancer. »

La première fois dans ma vie d’artiste de cirque que j’ai fait plier de rire deux mille personnes c’était le 16 septembre 1990 à Londres. J’étais le jongleur dans le cirque Archaos. Jongleur en veste de cuir, qui rentre en piste dans un taxi londonien, accompagné par 10 hommes en cuir dont une drague queen nommé Ramon… . J’étais nouveau. J’étais terrorisé par le public, par le succès que connaissait le cirque Archaos à Londres. Je me suis préparé, chauffé, pendant des heures. Mes enchaînements de numéro de jonglage me poursuivaient jusque dans mes rêves. Avant de rentrer en piste, je vérifiais tout ce qu’on peut imaginer à vérifier au moins quinze fois et puis, …je me mettais dans la voiture de Taxi londonien et le taxi rentrait sur scène. Mon numéro commençait. On me sortait de la voiture… moi au milieu, les hommes en cuir autour… dans l’orchestre la guitare électrique démarrait…, on devait me lancer des balles maintenant…. Seulement… j’avais oublié mes balles ! Je m’étais tellement préparé que j’avais oublié le principal ! J’avais oublié pour quoi j’étais là. Il est assez difficile à décrire la scène confuse qui a suivi entre nous, les hommes en cuir sur la piste et moi, par contre il est facile à décrire le public. Le public était par terre ! Deux mille personnes pliées de rire. Je les regardais : ébahi, ahuri, sidéré… et plus j’étais dépassé, plus ils étaient par terre… . Je savais: c’était la fin de ma carrière qui avait pourtant à peine commencé. J’étais entrain de faire mes valises dans la caravane quand quelqu’un a frappé à la porte. C’était Pierrot Bidon, le directeur. Je me suis dit : Il va me dire que je suis viré, mais il m’a dit ceci : « Nikolaus, c’est parfait ! T’as vu le succès !? Demain on va faire pareil ! Tu vas être le jongleur qui oublie ses balles… !» 

     Voilà une histoire qui décrit le rire dans le cirque, qui décrit le mécanisme du rire du clown ou plutôt le décalage qui fait rire. Ce n’est pas la blague qui fait rire, (oublier les balles, ce n’est pas très original comme blague…) c’est l’homme qui fait rire. L’homme dans cette condition particulièrement humaine : L’homme dépassé. Pour moi, en tant que clown (que je suis devenu forcément…) cette histoire m’apprend : Attention ! l’important se passe toujours là où je ne l’attends pas. Et c’est l’accident qui révèle l’issue, le ratage.

Alexandre Flemming était dépassé. C’était un vendredi. Il était tard, juste avant les vacances. Il y avait des échantillons de bactéries de staphylocoques partout autour de lui dans son laboratoire à Londres, mais Al (pour les intimes), avait rencontré une fille le lundi et dans sa tête de bactériologue ses pensées étaient confuses. Comment arriver à l’embrasser sur la bouche ? Il fallait absolument qu’il sorte de ce laboratoire ! C’était l’été en 1928. Après ses vacances Alexandre Flemming n’était pas content. Bien qu’il ait embrassé la fille sur la bouche (même à plusieurs reprises) pendant l’été, mais toujours pas avec la langue, rien… et surtout : tous les échantillons de staphylocoques d’avant les vacances étaient foutus… ils avaient pris une moisissure envahissante… bon à jeter… ratés… sauf que : à côté de la moisissure, les staphylocoques ont disparus… la moisissure justement a tué les bactéries… bon Dieu… ! C’est ainsi qu’on se raconte l’histoire comment Alexandre Fleming a fait la découverte du siècle, l’antibiotique… .

 

 

    

 

 

 

 

Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better. Samuel Beckett

 

Toujours essayé

Toujours raté

Peu importe

Essaie encore

Rate encore

Rate mieux (Beckett)

 

Voilà la prière qui va être inscrite en lettres dorées sur le nouveau chapiteau à Bagneux pour que le cirque soit à travers le RIRE et L’EXPLOIT. Voilà ce que le cirque propose dans un monde efficace et qui fait cette autre prière : le principe économique, et qui consiste à mettre le moins d’effort possible pour obtenir le plus de choses possible. Les gestes centraux de cirque, renversent ce principe de notre monde. Le cirque, c’est beaucoup d’énergie pour ne produire… rien. Le cirque ne produit rien. Le cirque n’est pas nécessaire. Mais qu’est-ce qui est nécessaire ? Il est nécessaire de manger, mais il n’est pas nécessaire de soigner son repas pendant des heures… . Il est nécessaire de s’habiller, mais il n’est pas nécessaire de mettre un t-shirt en couleur. On pourrait tous se mettre en gris, ça serait plus écologique. Il est nécessaire de se reproduire, mais il n’est pas nécessaire de faire l’amour pendant des heures … . Il est nécessaire de se déplacer de A à B, mais il n’est pas nécessaire de danser. Il est nécessaire de dormir, mais il n’est pas nécessaire de rêver. L’homme n’est pas nécessaire. L’homme n’est pas efficace du tout. Ça mange, ça dort, ça ronfle, ça râle, c’est tout le temps malade et ça se prend au sérieux. L’homme a un bilan écologique catastrophique ! Du coup, par ruse ou désespoir, (je crois un petit peu les deux), l’homme a donné un nom a tout ce qui dépasse le gris et tend vers la couleur, à tout ce qui dépasse le son et tend vers la musique, vers l’histoire et le rire, il a donné un joli nom à tout ce qui dépasse le mouvement nécessaire et tend vers la danse et la cabriole… il a donné un nom magique à tout ce qui le dépasse, à tout ce qui n’est pas nécessaire… il a appelé ça culture. Il a appelé ça poésie. L’homme s’est crée un monde efficace et rentable, et ce monde, aujourd’hui n’a plus besoin de lui… . L’homme n’a plus sa place, non pas parce qu’il n’aurait plus de place sur ce monde, mais parce que ce monde efficace qu’il a crée ne lui convient pas en fait. Je l’ai mentionné au début : 90 pourcents des métiers… d’activités, qu’on connaît aujourd’hui vont disparaître demain, remplacés par les machines, les ordinateurs, les  robots, les algorithmes de la data-world. Mais les choses qui restent à faire, ce sont les choses propres à l’homme : les choses qui ne servent à rien et donc sont de l’ordre de la culture, de l’ordre de la poésie. On n’aura plus besoin de quelqu’un qui fasse des baguettes encore moins chères, par contre on aura toujours besoin d’un boulanger poétique. On n’aura plus besoin d’un facteur qui distribue la publicité triste dans nos boîtes aux lettres, mais on aura besoin d’un facteur poétique ! On n’aura plus besoin d’une police qui méprise les hommes pour un salaire de misère, mais on aura besoin d’un policier poétique etc.

Au début des années 1980 le ministre de la culture Jacques Lang a décidé de sortir le cirque du ministère de l’agri-culture pour le situer au ministère de la culture tout court. Depuis le saut périlleux et le coup-de-pied-au-cul du clown sont des gestes poétiques. Depuis, officiellement le cirque appartient à ces choses qui ne servent à rien et qui pour ça ont toutes les chances de rester dans un monde où beaucoup de choses vont disparaître. Le cirque est une poésie du corps. La trouille, le plaisir, la colère, le désir, l’espoir et l’amour… les choses essentielles nous les vivons d’abord avec et à travers notre corps. Mais aussi : Le code génétique de notre corps n’a pratiquement pas changé depuis 50000 ans, depuis qu’on a chassé des Mammouths dans la vallée de la Néander à côté de Heidelberg et ça risque de ne pas trop changer encore pendant quelques dizaines de milliers d’années. Le cirque de Bagneux, ne sert á rien, et c’est pour ça qu’il va rester. Le cirque est basé sur l’homme sur son corps, et cet homme avec son corps n’a pas changé depuis longtemps. Le cirque à Bagneux ce n’est pas un Start-Up qui va disparaître l’année prochaine.

Daniel Forget nous raconte ici l’histoire de ce Plus Petit Cirque du Monde de Bagneux, l’histoire de cette aventure qui dure depuis 25 ans. Avec le cirque en dur un nouveau chapitre s’ouvre : Du cirque à Bagneux à travers le RIRE et L’EXPLOIT dans les 50 000 ans à venir….  

 

Nikolaus Fontenay sous Bois août 2014   

 

 

 

 

 

 

 

 

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